01/08/2008
Un secret – Philippe Grimbert [2004]
« Fils unique, j'ai longtemps eu un frère. Il fallait me croire sur parole quand je servais cette fable à mes relations de vacances, à mes amis de passage. J'avais un frère. Plus beau, plus fort. Un frère aîné, glorieux, invisible. »
Dès les premiers mots de son roman autobiographique, le psychanalyste Philippe Grimbert nous enchante et nous enchaîne. Car tout, le style élégant et dépouillé, le ton sobre et pudique, la sensibilité et l'émotion contenue, la construction du récit en un lent cheminement du narrateur dans sa quête de vérité, cette longue et respectueuse exploration d'un secret de famille, tout sonne juste. On comprend vite que ce roman est de ceux qui hantent longtemps la mémoire de celui qui s'y plonge. Et je voudrais tant convaincre ceux qui ne l'ont pas encore ouvert de le faire ! Mais comment m'y prendre ? Car le raconter serait le trahir ; l'analyser, l'abîmer ; en faire l'éloge, en dénaturer l'émotion... Quelques mots toutefois, en espérant ne pas trop en révéler...
Fils unique et petit garçon introverti, solitaire et maladif, le narrateur s'est donc inventé un aîné idéal, un double inversé, avec qui il converse dès qu'il en ressent le besoin, avec qui il se bagarre la nuit venue. Un frère beau et fort qui ferait assurément la fierté de ses parents, Maxime et Tania, deux athlètes reconvertis dans la vente d'articles de sport. Auprès de ses parents le garçon mène une existence en apparence simple et paisible, mais dominée par le silence qui règne dans sa famille. Un silence lourd et incompréhensible pour l'enfant, un silence qu'il devine empreint de honte et de culpabilité. Alors, sans oser poser de questions, le garçon se raconte des histoires et s'invente un passé magnifié : comment ses parents se sont rencontrés avant la Seconde Guerre mondiale, comment ils se sont aimés durant leur exil en zone libre pendant l'Occupation, comment lui-même est naît après guerre... Une belle histoire, idyllique, mais imaginaire. Jusqu'au jour de ses 15 ans, jusqu'au jour où Louise, une vieille amie de la famille et sa seule confidente, lui révèle enfin le secret de sa naissance issue de l'amour fou et coupable de ses parents. Une vérité bouleversante, mais qui lui permet enfin de se construire.
Un secret commence sur un mode intimiste, avec l'histoire simple d'une famille ordinaire, puis nous sommes entraînés au fil des pages dans l'Histoire : la Seconde Guerre mondiale, l'Occupation allemande, le génocide juif, l'ombre des camps... Et la recherche de vérité du narrateur, cette confidence qu'il livre au lecteur d'une voix qui s'étrangle peu à peu sous le doute et l'émotion, mêlant le basculement de l'Histoire à son vacillement intérieur. Ce récit autobiographique de Philippe Grimbert est un roman grave et néanmoins magnifique. Sa manière limpide de raconter une histoire de famille douloureuse rend l'ensemble plus bouleversant encore. L'histoire qu'il raconte est si fluide qu'elle paraît presque ordinaire. Il n'en est rien. Elle est universelle.
______________________________
Philippe Grimbert, Un secret, éd. Le Livre de Poche, 2006 (2004), 192 pages, 5,50 €.
00:45 | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : philippe grimbert, littérature française, autobiographie, secret, guerre, génocide, famille, frères
18/07/2008
This is not a love song – Jean-Philippe Blondel [2007]
Genre : blues, forcément triste
Vincent, ancien loser made in France, est parti il y a dix ans vivre sa success story en Angleterre, sans un regard pour ce qu'il laissait derrière lui : la France et sa province engourdie, ses parents et leur pavillon "qui craint", son frère et sa vie étriquée, et surtout Etienne, son ami, son double inversé, son compagnon de "lose" dont il n'a plus jamais pris de nouvelles. Aujourd'hui, il a réussit comme on dit : la quarantaine conquérante, marié à une femme de la "haute", heureux papa de deux fillettes, patron d'une chaîne de restaurants en plein essor, il revient dans sa ville natale : Découvrir la suite...
08/01/2008
Les noces barbares – Yann Queffélec [1985]
Ce livre là était dans ma PAL depuis... longtemps ! En effet, malgré tout le bien que l'on m'en a dit, je restais réticente à m'y plonger car je n'avais vraiment pas aimé La Dégustation du même auteur. Mais étant donné que ce livre m'a été prêté, et qu'il faudra bien que je le rende un jour, et que je déteste rendre un livre sans l'avoir lu, j'ai profité de mes congés de Noël pour me décider à lui laisser une chance, après toutefois avoir épuisé le reste de mon SAL. Je l'ai tout d'abord mollement sorti de mon sac en le regardant d'un œil suspicieux, puis je l'ai ouvert au hasard, avec déjà une moue dubitative inscrite sur mes lèvres, enfin, j'ai pioché une phrase ici, un paragraphe là, juste pour me faire une idée, et prête à refermer ce livre aussi sec avec un commentaire assassin. Sauf que ! Sauf, que j'ai été sidérée par la puissance des petites bribes que j'ai picorées au hasard, du coup j'ai fait une vrai lecture, du début à la fin, du premier au dernier mot. Et je suis restée scotchée à mon livre, émue par la fragilité de Ludo, étonnée par la puissance de l'écriture, suffoquée par la violence sous-jacente de l'histoire...
L'histoire justement, quelle est-elle ? C'est celle de Ludo, enfant né d'un viol collectif, maltraité et haï par sa mère trop jeune et trop blessée, et qui a grandi caché dans le grenier de ses grands-parents. Sa situation ne s'arrange guère après le mariage de sa mère, Nicole, avec Micho, un brave et riche mécanicien qui cherche pourtant à protéger Ludo. Mais Nicole, hantée par son viol que l'existence même de son fils lui rappelle en permanence, sombre dans l'alcoolisme et fait interner Ludo dans une institution pour débiles légers. Là le garçon continue à rêver de sa mère qui ne répond pas à ses lettres et qui refuse de lui rendre visite. Jusqu'au jour ou Ludo s'enfuit pour la retrouver dans une confrontation finale certes inéluctable mais déstabilisante.
Ce livre, c'est donc un chant d'amour, celui de Ludo pour sa mère dont il quémande désespérément un peu d'attention à défaut d'amour. C'est un roman âpre et poignant sur la relation d'une mère et de son fils : à la violence de l'adulte répond l'amour fou d'un fils voulant enfin être accepté. Ludo est un personnage singulier, symbole d'une malfaçon de la vie : de nos jours la misère n'est plus celle des estomacs creux, mais des cœurs vides, des violences à nu et des vocabulaires limités. C'est tragique, déchirant, douloureux, violent, triste, sombre, bouleversant... inoubliable !
A la fin de ma lecture, encore un peu sonnée, je n'ai toutefois pu que m'interroger : comment Monsieur Queffélec, après avoir écrit un roman aussi puissant et poignant, a-t-il pu se commettre à écrire un livre aussi insipide que La Dégustation ? Comment un auteur peut-il ainsi, du sublime, sombrer dans le médiocre ? Est-ce lui ou moi le problème ? Moi sans doute, me suis-je dit. Je me suis donc illico ressaisie de La Dégustation… qui m'est anouveau tombé des mains : inintéressant au possible ! Alors quoi ??
Et la même remarque s'applique aussi à Monsieur Baricco : comment cet auteur a-t-il pu à la fois écrire Soie, merveille d'épure et de délicatesse, et Océan mer, texte bouffi et surécrit ??? Hein, comment se fait ce ?
______________________________
Yann Queffélec, Les noces barbares, éd. Gallimard, coll. folio, 2006 (1985), 343 pages, 6,80 €.
Du même auteur : La Dégustation
12:45 | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : yann queffélec, littérature française, viol, violence, maltraitance
04/01/2008
Les jours fragiles – Philippe Besson [2004]
Les jours fragiles ce sont ces jours que l'on essaie désespérément de retenir, de faire durer encore un peu quand on sait un être cher sur le point de nous quitter. Ces jours fragiles ce sont ceux qu'Isabelle consigne dans son journal intime, les jours d'agonie de son frère adulé, Arthur Rimbaud. Car en mai 1891, après 10 ans d'exil volontaire en Abyssinie, Arthur est revenu dans les Ardennes. Jeune vieillard de 37 ans, malade, épuisé, amputé, il est venu vivre ses derniers jours au côté de sa sœur Isabelle, seul membre chéri d'une famille rigide. Découvrir la suite...
12:35 | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : littérature française, philippe besson, arthur rimbaud, agonie, maladie, frère-soeur
09/10/2007
La maison assassinée – Pierre Magnan (1984)
Genre : drame paysan
Le 29 septembre 1896 en Haute-Provence, par une nuit d'orage, toute la famille Monge est massacrée, égorgée. Séraphin, bébé de trois semaines, est le seul survivant... Les années passent. Après la Première Guerre mondiale, Séraphin revient au pays. Surgi du passé, Séraphin dérange les villageois, leur fait peur, les fascine aussi. Car il est bien étrange ce jeune homme beau tel un archange, puissant, placide et silencieux, toujours les poings serrés, qui entreprend de démolir, pierre à pierre, la maison du drame, comme pour l'effacer ou peut-être pour découvrir dans ses entrailles les réponses à ses questions. Car, hanté par l'image de sa mère morte, Séraphin n'aspire qu'à découvrir la vérité sur la mort des siens, et se venger. Or cela, tout l'indiffère : l'opinion publique, l'amitié que lui offre une "gueule cassée", l'amour des femmes... rien ne semble l'atteindre. De rencontres en révélations, il se lance en silence sur la trace des coupables. Mais à grande surprise, un inconnu le devance sur le chemin de sa vengeance.
Pierre Magnan a écrit là un remarquable roman dont l'intrigue policière touche à la tragédie. Mais avant tout ce livre est un roman d'atmosphère, qui mêle le mystère au réalisme paysan. Pierre Magnan parvient à saisir de manière réaliste l'ambiance étouffante faite de non-dits qui règne dans le village, mais aussi ce quotidien accablant que les habitants rehaussent de on-dit et de racontars. Les notables du village (Didon Sépulcre, propriétaire du moulin à huile, Célestat Dormeur le boulanger, et Gaspard Dupin, enrichi grâce à la guerre) paraissent vite bien louches mais on ne comprendra que très tard la véritable teneur de leur implication dans l'intrigue. Les personnages féminins ne sont pas en reste, surtout le trio principal formé par Rose Sépulcre, Marie Dormeur et Charmaine Dupin (les filles respectives des trois hommes suscités). Et bien qu'au début le fait qu'elles se jettent toutes trois à la tête de Séraphin puisse paraître passablement artificiel, il faut leur reconnaître du caractère et de l'éclat, rehaussé d'un brin de perversité et d'une liberté de ton et d'action inattendue mais salutaire vu l'époque du récit. Quant à Séraphin, pris par son obsession macabre qui le poursuit sans répit et sa vengeance qui le dépasse, il paraît presque extérieur aux évènements alors qu'il en est le centre de gravité et le déclencheur.
Le décor rude et sauvage, les personnages forts et bien campés, le style précis, l'intrigue sinueuse : le tout forme un roman noir et poisseux, parfois quelque peu dérangeant, et assurément prenant.
En 1987 Georges Lautner a adapté ce roman en un film assez fidèle avec Patrick Bruel dans le rôle principal. Le film joue la carte du lent mélodrame rural et rend à merveille l'univers campagnard lourd de menaces, de haines et de secrets enfouis. On retrouve donc bien l'atmosphère du roman, mais la mise en scène ne décolle pas de l'illustration genre téléfilm. De plus, j'ai eu du mal a trouver Patrick Bruel crédible en Séraphin Monge : il manque cruellement de carrure pour un tel personnage et le rend bien fade alors qu'il devrait être énigmatique et fascinant.
______________________________
Pierre Magnan, La maison assassinée, éd. Denoël, coll. folio policier, 2003 (1984), 345 pages, 7,20 €.
Merci à Flo pour m'avoir fait découvrir ce livre et cet auteur !
18:10 | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : la maison assassinée, pierre magnan, littérature française, cinéma, polar, vengeance